Le Lézard
Sujets : Enfance, Plaidoyer (politique), DEI

Des enseignants laissés à eux-mêmes?


REPENTIGNY, QC, le 28 avril 2023 /CNW/ - Au cours des derniers jours, les médias québécois ont rapporté des comportements inappropriés et troublants de la part d'enseignants du réseau de l'éducation. Au nom de l'Association des éducatrices et éducateurs spécialisés du Québec, je sens le besoin de me prononcer sur ces récents événements.

Il importe tout d'abord de se rappeler que, dans la majorité des écoles, les enseignants ont à coeur le bien-être de nos enfants et de leur prodiguer un enseignement de qualité leur permettant l'acquisition des meilleures compétences et connaissances. C'est d'ailleurs là l'essence même de leur profession.

Aussi, sans disposer de données absolues, nous croyons que ces incidents ont beaucoup plus de risques de se produire dans le réseau public que privé de l'enseignement. En effet, les établissements privés procèdent à la sélection de leurs élèves, ce qui n'est pas le cas au public. Des élèves qui présentent des défis importants, notamment au plan comportemental, sont donc bien souvent absents du réseau privé. Toutefois, l'essence de notre compréhension et de solutions potentielles ne réside pas simplement dans un clivage public-privé. Ce serait réduire le problème à sa plus simple expression et nous croyons que les solutions sont multiples parce que les raisons entraînant de tels comportements sont extrêmement complexes.

Des centaines d'éducatrices et éducateurs spécialisés sont dédiés dans nos écoles du Québec à soutenir les enseignants pour mettre en place des interventions pouvant atténuer les comportements problématiques d'élèves en classe. Malheureusement, depuis plusieurs années, nous constatons une présence beaucoup trop limitée de ces intervenants qualifiés pour apporter un soutien professionnel au quotidien, des conditions de travail défavorables à établir des liens durables et à développer une expertise de façon continue. On dénote aussi, trop souvent, un manque total de reconnaissance des connaissances et des compétences acquises en éducation spécialisée et qui permettraient d'aller beaucoup plus loin dans le soutien aux enseignants aux prises avec des classes parfois extrêmement difficiles. Il faut se rappeler que, dans un effort d'intégration que nous saluons depuis le début, le réseau de l'éducation québécois privilégie l'intégration des enfants en milieu régulier, sans égard à leurs capacités, leurs besoins ou encore leurs difficultés personnelles pouvant compromettre leur parcours scolaire.

Dans la recherche de solutions, il faut aussi se rappeler que les enseignants sont formés à enseigner et ne sont pas des intervenants spécialisés pour intervenir auprès de personnes en difficulté. Elles ont des notions qui peuvent certes les aider, mais ce n'est pas le but premier de leur travail. C'est pourquoi nous sommes persuadés que d'améliorer la présence et la reconnaissance professionnelle des éducatrices et éducateurs spécialisés représente l'une des pistes de solutions que le ministère de l'Éducation devrait envisager. Le travail des professionnels de l'enseignement est exigeant. Voilà pourquoi il faut leur apporter un soutien constant. Malheureusement, en absence d'un ordre professionnel en éducation spécialisée, plusieurs écoles engagent des intervenants qu'elles désignent éducateurs ou éducateurs spécialisés et qui, dans les faits, ne détiennent pas les compétences professionnelles que notre association exige de ses membres.

Il m'apparaît essentiel de préciser ici que nous militons pour assurer que les services en éducation spécialisée soient encadrés et de meilleure qualité, dans un but ultime de protection du public, par le biais de la mise en place d'un ordre professionnel en éducation spécialisée. De ce fait, nous souhaitons laisser aux enseignants le loisir de se prononcer pour eux. Cependant, nous savons que l'exemple de l'Ontario, ou un ordre professionnel est en place pour les enseignants, a permis d'encadrer la pratique de l'enseignement dans la province. C'est certainement un exemple dont nous devrions nous inspirer.

Aussi, et nous tenons à le rappeler parce que c'est encore et le premier élément que nous devons envisager pour comprendre comment des dérapages peuvent se produire lors d'interventions avec des enfants turbulents, difficiles ou réfractaires, il n'y a qu'un seul élément dont dispose un être humain lui permettant d'intervenir adéquatement et de dénouer des tensions extrêmement difficiles ou sensibles, c'est la personnalité de celui ou celle qui réalise l'intervention. Parce que si les connaissances et l'expérience sont des atouts essentiels qui viennent bonifier ce travail délicat, le seul élément capable, a priori, de permettre des interventions adéquates, exemptes de violence verbale et encore plus physique, c'est la personnalité. Il est hautement préjudiciable de croire qu'un ensemble de connaissances accumulées dans un savoir de haut niveau saura remplacer une personnalité équilibrée. C'est au prix d'une connaissance fine de soi-même, d'une empathie de tous les instants et d'une capacité à mesurer les impacts de ses actions auprès des enfants que se trouve la première clé pour résoudre un problème aussi grand que celui auquel nous avons assisté dans les derniers jours.

Finalement, nous savons très bien que la solidarité qui se développe naturellement au sein des équipes dans les établissements scolaires ne favorise pas la prise de parole pour dénoncer des gestes que des collègues peuvent commettre à l'endroit des enfants. Nous réitérons d'ailleurs que nous encourageons toute personne pratiquant l'éducation spécialisée ou toute autre profession, qui est témoin d'événements pouvant compromettre l'intégrité d'un autre être humain, a le devoir de le dénoncer, au mieux des intérêts de toute la collectivité. Étonnamment, après la colère et la stupéfaction, la personne qui profite le plus de cette dénonciation est celle qui commet de tels gestes, parce qu'elle finit par s'enfermer dans des situations qui auront, à moyen et long terme, des impacts non pas uniquement sur ceux qui reçoivent cette colère et cette agressivité, mais aussi sur celle qui l'utilise au quotidien.

Collectivement, nous devons nous assurer que tous les enfants du Québec soient en sécurité dans leurs salles de classe. C'est à cela que nous aspirons au quotidien. Cependant, nous pourrions faire beaucoup plus. Parmi les mesures pour y arriver, nous souhaitons une meilleure reconnaissance des bienfaits de l'éducation spécialisée dans le réseau de l'éducation. Il est temps d'offrir aux enseignants tout le soutien requis pour qu'ils puissent accompagner les élèves durant leur cheminement scolaire et non plus d'assumer des responsabilités qui vont au-delà de leur rôle.

SOURCE Association des éducatrices et éducateurs spécialisés du Québec (AEESQ)



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